Les révoltées du printemps arabe ont faim d’Europe

FEMMES DU MONDE - Chaque semaine, Karen Lajon, grand reporter au JDD, va à la rencontre de femmes exceptionnelles. Cette semaine, elle a rencontré deux émissaires, tunisienne et syrienne, qui seront présentes cette semaine à la Conférence ministérielle de l’Union pour la Méditerranée (UPM).

Elle porte la robe un peu courte. Un collier de perles entoure une nuque dégagée par une coupe de cheveux très masculine. D’un geste énergique, elle sort une cigarette de son paquet et l’allume, là comme çà, sur le trottoir, à la sortie d’un grand hôtel de Bruxelles, en Belgique. Halima Jouini, 55 ans, est une militante de la première heure pour les droits de la femme en Tunisie. Elle est alpaguée par une copine qui lui dit en rigolant. "Tu lui en fait voir à Ghannouchi et sa clique". Halima hausse les épaules, la routine, la lutte dans la vie de cette combattante des grandes idées.

Alors, pour un rien au monde, Halima n’aurait raté cette réunion préparatoire de la Conférence ministérielle de l’Union pour la Méditerranée (UPM) qui se tiendra le 12 septembre à Paris. Toutes ces femmes ont donc répondu à l’appel de Najat-Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement, et fortement à l’origine de cette relance de l’UPM. Elles se sont senties doublement concernées, ces militantes des droits de l’Homme, par le fait que la première rencontre ministérielle soit consacrée au renforcement du rôle de la femme, dans un contexte post printemps arabe. Venues de la société civile, ces Tunisiennes, Egyptiennes, Syriennes, Jordaniennes ou encore Marocaines se sont réunies deux jours dans la capitale belge, afin de dresser la longue liste des discriminations faites aux femmes dans cette partie du monde. Révolution ? Progrès ou régression pour la femme de ce côté de la Méditerranée? Les premiers signes sont inquiétants, ce ne sont pas les Tunisiennes ou les Egyptiennes qui diront le contraire. Les islamistes veulent les dépouiller de leurs droits, de leur liberté, de leur désir. Elles sont venues le crier haut et fort.
"Nous essayons de pousser les femmes à saisir cette chance d’exister"

Comme Rula Asad, Syrienne, réfugiée avec son mari, aux Pays-Bas. Journaliste de formation, elle s’est mise en tête de monter  un réseau de femmes de presse dans les pays de la côte sud de la Méditerranée. « Pour vous, la société civile, c’est une évidence mais pour nous c’est récent. Les gens grâce aux révolutions arabes ont compris qu’ils avaient un rôle à jouer, une voix à faire entendre. Et nous ce que nous essayons de faire, c’est d’aller encore plus loin et de pousser les femmes à saisir cette chance d’exister. Nous les poussons à s’éduquer ». Rula est clairement une jeune femme éduquée. Elle aussi porte la jupe un peu courte. Aujourd’hui, elle est contente d’être là et en même temps, elle est perturbée. Par un sujet qu’elle juge difficile, un peu tabou. Son pays, la Syrie. Sa famille est encore là-bas. Elle a perdu un frère. L’intervention militaire, elle n’en veut pas. D’ailleurs, la majorité des femmes ici présentes, est plutôt contre. "Trop tard, cela va être pire, arrogance de l’Occident". Le rêve de Rula s’est brisé sur l’autel de la réalité. A cause de l’Egypte. "On a été vraiment choquées par la tournure des événements. On est entré en révolution à cause d’eux. Les Egyptiens ont été notre modèle. Et maintenant…"

Rula rejoint ses amies de lutte. Ici, il n’y a que des femmes éduquées, des avocates, des médecins, des journalistes… Une autre surgit, élégante, parfumée et rompue à ce type de réunions. Leila Chahid, déléguée générale de la Palestine auprès de l’UE,  a senti que l’heure était importante. La preuve, Stefan Füle, un commissaire européen,  a fait le déplacement. Les choses vont enfin bouger. "C’est un signe fort, cela veut dire qu’il y croit. L’Union européenne a compris le message, à savoir qu’il fallait désormais compter avec les sociétés civiles de cette partie du monde. Si l’on adopte cette écoute à double sens, alors nous vivrons un moment historique dans les relations euro–méditerranéennes".  Leila Chahid s’y connait en rapport de forces. Elle, qui a lutté auprès de Yasser Arafat, est convaincue que les femmes de la Méditerranée sont enfin sur la bonne voie.

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Dernière modification le mercredi, 24 juin 2015 11:14