Comparer la Tunisie et l’Egypte ne sert à rien

Il est vrai que les circonstances dans ces deux pays, qui traversent une période d’agitation politique, sont similaires. En Tunisie comme en Egypte, les partis politiques victorieux à l’issu des élections n’ont qu’une modeste expérience de l’exercice du pouvoir, et par ailleurs, pondérer l’influence de l’islam au sein des systèmes politiques naissants de ces pays constitue un véritable défi.

Cependant, quand on y regarde de plus près, le contexte de chacun de ces deux pays comporte des différences fondamentales. Par conséquent, les comparaisons trop globales pourraient induire en erreur.
Un printemps arabe, polymorphe

A force de considérer la situation des pays du Printemps arabe de manière monolithique, on risque de finir par faire en sorte que le scénario pessimiste présagé par l’opinion internationale se concrétise. Or ce scénario ne tient pas compte des différentes nuances propres à chaque pays. Il faudrait, au contraire, reconnaître le contexte unique de chaque cas et encourager des solutions adaptées à chaque Etat spécifique.

En Egypte, l’armée maintient une position de force depuis des dizaines d’années. Même si le gouvernement qui vient d’être instauré est civil, l’armée continue à jouer un rôle politique et économique essentiel. Elle l’a d’ailleurs démontré avec l’arrestation de l’ancien président Mohamed Morsi.

L’armée tunisienne, en revanche, n’a exercé aucune influence au moment de la révolution. Craignant un coup d’état, le premier président tunisien, Habib Bourguiba, avait déjà interdit à l’époque la participation de l’armée à la vie politique. Le président Bourguiba et son successeur Zine El Abidine Ben Ali se sont plutôt appuyés sur les forces de police et de sécurité intérieure. Depuis la révolution de 2011 qui a balayé le régime du président Ben Ali et l’instauration d’un gouvernement civil, l’armée continue à exercer un rôle négligeable dans la vie politique du pays.
Le rôle de l'armée

Ainsi, la grande différence entre l’Egypte et la Tunisie est la position de l’armée : en Tunisie, les militaires sont subordonnés à des dirigeants démocratiquement élus tandis qu’en Egypte, ils ont le pouvoir d’intervenir.

La dynamique politique est elle aussi très différente. Les membres du gouvernement égyptien, mis en place après la chute du régime Moubarak, étaient pratiquement tous issus d’un seul et même parti, affilié aux Frères musulmans, tandis qu’en Tunisie, la coalition arrivée au pouvoir au lendemain de la révolution représente le parti islamique Ennahda ainsi que les partis laïcs Ettakol et Congrès pour la République.

Le gouvernement tunisien est confronté à une opposition grandissante : les Tunisiens sont frustrés face à l’absence des améliorations politiques. Cette année, l’assassinat de deux grandes figures de l’opposition a provoqué une nouvelle vague de protestation. Le fait que le gouvernement n’a pas réussi à traduire en justice les auteurs de ces assassinats a alimenté la colère. Il faut cependant reconnaître que les autorités sont néanmoins parvenus à calmer les tensions en acceptant de faire des compromis et en faisant des concessions politiques. Le Parti Ennahda a notamment cédé des postes ministériels importants à des partis laïcs et indépendants. Il a également limité les références à l’islam dans le projet de constitution.

Par ailleurs, lors des dernières manifestations, il n’y a eu que quelques accrochages entre les manifestants et les forces de l’ordre ainsi qu’entre les manifestants soutenant le gouvernement et ceux de l’opposition. Depuis le début des manifestations qui ont éclaté le 25 juillet dernier, on ne compte qu’un seul mort – un manifestant décédé suite à un traumatisme crânien, après avoir été touché à la tête par une bombe lacrymogène.
Des craintes quant à l'évolution démocratique

En Tunisie, la vague de manifestation montre que les Tunisiens ne sont toujours pas satisfaits des changements politiques. Les détracteurs du gouvernement sont effectivement très pessimistes quant à l’évolution de la démocratie dans ce pays. Toutefois, la nature très pacifique des manifestations et la riposte modérée des forces de l’ordre sont révélatrices d’une évolution positive vers des pratiques plus démocratiques et le respect des droits humains. Il faut encourager et apprécier cela à sa juste valeur.

Nous devons nous rappeler que la transition vers la démocratie est un processus difficile et complexe qui prend du temps – une dizaine d’années, au mieux. Il ne faut pas oublier que les transitions démocratiques dépendent de tout un ensemble de facteurs d’ordre culturel, historique, économique, politique et social.

Malgré leurs ressemblances culturelles et leur proximité géographique, les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, qui traversent en ce moment une période de transition, sont en proie à des difficultés différentes. Leur évolution dépendra des nuances particulières de chacun d’entre eux.

 

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