Tunisie : le long hiver du tourisme

Trois ans après la révolution du Jasmin, les touristes se font toujours attendre en Tunisie. L’activité touristique dans le pays n’a pas retrouvé le niveau qui prévalait sous le régime de Ben Ali.  Pour l’économie du pays, l’enjeu est de taille : des centaines de milliers de personnes vivaient grâce à ces emplois saisonniers. Désormais, elles survivent. Enquête.

Le printemps arabe a plongé le tourisme tunisien dans un long hiver. Depuis la chute de Ben Ali, en janvier 2011, les visiteurs se font moins nombreux sur les plages de Hammamet, Mahdia  Sousse ou Djerba.

Walid Chanouf, 37 ans, professionnel dans le secteur depuis près de 15 ans, n’avait jamais connu une telle situation. L’homme vit à Hammamet, au sud-ouest du Cap Bon, l’une des destinations touristiques prisées du pays. « Les hôtels en saison pleine ne sont pas remplis. Les étrangers, surtout les Français, restent absents. Le tourisme intérieur, très actif en fin d’année est également sinistré, » se lamente-t-il. Comptable de l’hôtel Holiday Inn de la ville, puis dans un des hôtels de la chaine espagnole de résidences de luxe, Riu, l’homme connaît le chômage pour la première fois. « Je suis sans emploi depuis deux mois. C’est une situation inédite pour moi. Les hôtels ne recrutaient que des saisonniers pour les emplois peu qualifiés. Maintenant, le personnel un plus diplômé, comme moi, n’est plus jugé indispensable en basse saison, » explique l’ancien comptable. « Les hôtels, les restaurants, les agences de voyages ont vu leurs chiffres d’affaires s’effondrer en 2011 au moment de la révolution. Les professionnels du secteur espéraient retrouver le niveau d’activité de 2010, mais les saisons 2012 et 2013 ont été très décevantes. Aujourd’hui, les branches du secteur du tourisme n’ont plus de trésorerie. Les licenciements ne font que commencer, » pronostique Walid Chanouf.

 

Souvent peu loquace, le ministère du Tourisme tunisien avoue que la situation reste très difficile. « Nous sommes encore très loin des chiffres de fréquentation de l’année 2010. Les Français, qui restent nos principaux clients, tardent à revenir. Ils étaient un peu plus de 1,4 million en 2010. Nous serons autour de 950 000 touristes français pour l’année 2013. Le nombre d’Allemands, de Britanniques et de Russes a fortement progressé, mais ceci ne nous permet pas de compenser l’absence remarquée des touristes venus de l’Hexagone, » reconnaît Amel Zarouk, directrice adjointe de l’Office national du tourisme tunisien. « Depuis quelques mois, le pays accueille temporairement quelques dizaines de milliers de Libyens, de la classe moyenne. Ils ont de l’argent et ils le dépensent en Tunisie. Ils fuient pendant quelques semaines ou quelques mois le chaos libyen. Mais cela ne suffit pas à remplacer l’absence des autres visiteurs étrangers, » note également Jean Yves Moisseron, économiste et chercheur à l’Institut de recherche pour le Développement.
 

Durant la dernière année du régime de Ben Ali, quelque 7 millions de touristes s’étaient rendus en Tunisie. Ils ne sont plus que 4,45 millions aujourd’hui. L’enjeu reste considérable. « Le tourisme reste le principal fournisseur de devises pour le pays. Il représente un peu plus de 400 000 emplois directs dans un pays de quelque dix millions d’habitants. Des milliers de jeunes de la Tunisie de l’intérieur, sans emploi la plupart de l’année, migrent  ainsi vers les régions côtières durant la saison haute pour pouvoir travailler quelques semaines, » explique Jean-Yves Moisseron. Hazem Ksouri, avocat au barreau de Tunis et militant des droits de l’homme abonde dans le même sens. L’impact social est colossal. Plus de 1,8 million de personnes dépendent des revenus du tourisme. « L’emploi saisonnier constitue une véritable soupape sociale dans le pays. Des milliers de familles à Kasserine ou dans d’autres localités pauvres du pays dépendent des quelques centaines de dinars glanés par les plus jeunes dans des boulots de serveurs, cuisiniers ou réceptionnistes. L’instabilité sociale, grandissante dans le pays, est en fait accentuée par la mauvaise santé du secteur, » indique l’avocat.
 

Cette baisse de fréquentation en Tunisie semble profiter à d’autres destinations, comme le Maroc, qui a vu le nombre de ses touristes passer de 8 à près de 9 millions sur les deux dernières saisons. « Nous sommes victimes d’une image désastreuse. Il n’y a jamais eu d’attentat à Hammamet, où je travaille. Les touristes étrangers, et surtout français, étaient surpris par la tranquillité du pays. On a créé un sentiment d’insécurité qui n’a rien à avoir avec la situation sur place. Le pays n’est pas à feu et à sang, » relativise Walid Chanouf, en bon professionnel du tourisme. Même son de cloche au ministère du tourisme. « Les médias tunisiens et français ont amplifié de façon démesurée les problème sécuritaires qu’a pu rencontrer le pays, » indique Amel Zarouk, haut fonctionnaire du ministère. Hazem Ksouri, militant des droits de l’homme, se montre plus critique : « On ne peut pas nier les attentats et les assassinats. Un homme s’est fait exploser à Sousse devant un hôtel. Un attentat a été déjoué sur une plage à Monastir en octobre dernier. Deux députés de l’opposition, Chokri Belaïd et Mohammed Brahimi, ont été abattus froidement en février et en août dernier. Ennahda (NDLR : le principal parti du pays, issu de l’islam politique) cultive une relation ambivalente et ambiguë avec la mouvance djihadiste, responsable de ces attentats. Les responsables d’Ennahda, au pouvoir pendant plus de deux ans, n’ont pas vraiment poursuivi les responsables. Il fallait ménager une alliance possible avec la mouvance dure de l’islam politique, » croit savoir l’avocat. « Le pays a surtout besoin d’une certaine stabilité. La nature du régime politique intéresse peu les visiteurs étrangers, mais ils doivent avoir le sentiment que le pays n’est pas la proie de luttes politiques ou sociales graves. Ainsi, le Maroc possède également un gouvernement issu de l’islam politique, mais les touristes gardent le sentiment que la monarchie de Mohammed VI constitue un gage de sécurité, » explique le chercheur Jean Yves Moisseron.
 

Le vote d’une nouvelle constitution et l’arrivée d’un gouvernement de technocrates, dirigé par Mehdi Jomâa, iraient dans le bon sens, selon l’économiste. « Ceci, toutefois, pourrait être insuffisant. Le tourisme tunisien doit peut-être également se réinventer. Les Européens venaient chercher la plage et le soleil à moindre coût. D’autres destinations, comme la Turquie, constituent désormais une alternative. Le tourisme tunisien doit devenir un peu moins balnéaire. Le patrimoine doit être davantage valorisé. Le niveau de dépenses des visiteurs étrangers dans le pays reste bas. Il faut sans doute aussi développer des nouvelles infrastructures pour une clientèle plus fortunée, » estime le chercheur.

Selon Hazem Ksouri, juriste et militant des droits de l’Homme, le nouveau gouvernement devra à tout prix redresser la situation sécuritaire. « Les islamistes et djihadistes ont conscience que le tourisme constitue une source de devises essentielle pour le pays. Les attaques à Monastir et à Sousse cherchaient à faire fuir les étrangers. S’attaquer au tourisme, c’est affaiblir le gouvernement qui est en train de se mettre en place. C'est ainsi qu'ils avaient procédé en Egypte en tuant des touristes à Louxor (NDLR : en 1997 : 62 touristes occidentaux avaient été tués par 6 assaillants). Les caisses de l’Etat sont vides et les moyens des forces de sécurité du pays sont dérisoires. L’Union européenne et la France pourraient offrir leur aide technique et financière, » suggère l’avocat.

Le ministère du Tourisme reste pourtant ambitieux et table sur une reprise progressive du flux de touristes. Il vise ainsi plus de 10 millions de visiteurs étrangers en 2016. « Le pays a trouvé une certaine forme de consensus politique. Il est illustré par le vote d’une nouvelle constitution. L’image de la Tunisie au-delà de ses frontières va changer, » veut croire Amel Zarouk, de l’office national du Tourisme.

 

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