Les médias tunisiens face à la gravité de l’heure : les raisons d’une grève

17 octobre 2012, 17 septembre 2013, onze mois, jour pour jour, journalistes et patrons de presse font, de nouveau, front uni face, cette fois-ci, à la puissante machine judiciaire instrumentalisée par les partis du pouvoir en place, plus précisément celui d’Ennahdha.

Après les multiples exactions enregistrées vis-à-vis des médias et des journalistes, dont notamment, Tahar Ben Hassine, Sofiène Ben Farhat, Mourad Meherzi, voilà que Zied El Héni est, à son tour, emprisonné durant le dernier long week-end en usant de procédures illégales, de l’aveu même de hauts magistrats dont Ahmed Rahmouni, président de « Marsed El Kadha ». Etat des lieux à la veille d’une grève générale, pas comme les autres…

En effet, le mandat de dépôt émis à l’encontre de Zied El Hani, vendredi 13 septembre 2013, a été comme une goutte qui a fait déborder le vase. La mobilisation a été faite à très grande échelle. Elle s’explique par le souci et la détermination des gens de la profession de préserver la liberté de la presse et d’expression, jugé par tous comme étant l’un des principaux, voire le seul, acquis après la révolution du 14 janvier 2011.

Il faut dire que la journée du 13 septembre est jugée comme noire. Plus encore, elle symbolise, tristement, une sorte d’assassinat de cette liberté et de toute la profession qui est décidée, plus que jamais, à ne pas se laisser faire et à faire de la résistance face à des pratiques que même l’ancien régime de Ben Ali n’a pas osé suivre.

Cela a commencé avec l’arrestation, le 15 février 2012, l’emprisonnement et le procès intenté à Nasreddine Ben Saïda, directeur du journal Ettounsiya, même pas deux mois après la prise du pouvoir par la Troïka, outrageusement dominée par le parti islamiste d’Ennahdha, pour atteinte aux bonnes mœurs et publication de nature à perturber l’ordre public, le tout à cause d’une photo d’une femme dénudée en couverture à la Une !

Il avait fallu plus de trois semaines de détention, de mobilisation et une grève de la faim du concerné pour que M. Ben Saïda s’en sorte, un certain 8 mars 2012, avec une amende de 1000 dinars.

Depuis, les exactions et les agressions contre les hommes de l’information n’ont jamais cessé. On se rappellera l’agression physique contre notre confrère Zied Krichen par des salafistes devant le Palais de justice même et de nombreuses autres subies par des agents de police et, surtout, par des membres des ligues dites de protection de la révolution dont le cameraman Adnane Chaouachi, le 27 juin 2013 devant le siège de l’Assemblée nationale constituante.

Toutefois, le cas le plus tristement célèbre reste celui de la détention illégale de Sami Fehri pendant plus d’un an sans procès, sans condamnation et sans preuves tangibles et plausibles justifiant son emprisonnement.

Et malgré les multiples décisions de la Cour de Cassation pour sa libération et la formidable campagne de la part des médias et des organisations de défense des droits de l’Homme, la justice est restée imperturbable.

D’ailleurs, on ne compte plus les journalistes et reporters qui se font agresser par certains membres des forces de sécurité et des membres des LPR et se font subtiliser leur matériel, leurs dictaphones et leurs appareils photos.

On n’oubliera pas de mentionner les journalistes qui se font agresser verbalement, voire humilier, en direct sur les plateaux télévisés, par des membres du gouvernement de la troïka et autres dirigeants d’Ennahdha, du CPR et, à moindre degré, d’Ettakatol. N’est-ce pas M. Zaouia ?

Mais la triste palme d’or en la matière revient à Houcine Jaziri, Ameur Laârayedh, Walid Bennani, Lotfi Zitoun et Mohamed Ben Salem qui ne rataient pas une occasion pour intimider les journalistes producteurs et animateurs des émissions TV.

Moez Ben Gharbia, Sofiène Ben Farhat, et autres journalistes d’Al Wataniya 1 et 2 ont dû subir les foudres de ces personnages qui se sont illustrés par leur arrogance et leur manière de dicter la façon dont les animateurs devraient s’acquitter de leur tâche.

Puis il y a eu cette dernière vague de convocations, d’interrogatoires et de mandats de dépôts à l’encontre de Mourad Meherzi, de Tahar ben Hassine et de Zied El Hani, l’objectif de cette razzia étant, selon l’avis de tous, la mise sous scellés d’un secteur qui reste le seul à être « non garanti », comme dirait le guide des islamistes tunisiens, Rached Ghannouchi.

En s’assurant la neutralité de l’armée, notamment depuis les derniers mouvements, et des services de sécurité dont on essaie de mater les velléités, à coups de convocations chez les juges d’instruction, la Troïka et, plus précisément Ennahdha, fait le forcing pour avoir la mainmise sur l’information qui reste le dernier bastion à leur faire de la résistance.

Tout média ou journaliste qui ne leur fait pas allégeance, est automatiquement traité comme subjectif et faisant partie de l’ancien système, autrement, des éléments et des organes de la honte.

Or, avec l’arrestation de Zied El Héni, dans des conditions douteuses et selon des procédures qui n’ont rien de légal, le régime en place prouve qu’il est décidé à en finir avec une presse libre et indépendante.

Car Zied El Héni, tout comme Tahar Ben Hassine, constitue un grand symbole en matière de lutte contre l’ancienne dictature et un militant de grande envergure contre la corruption, la répression et les dépassements contre l’Etat de droit et des institutions.

Il ne se passait pas un jour, notamment durant les dernières années de Ben Ali, sans que Zied El Héni ne publie des informations et des articles d’analyses contre l’ancien président, son épouse et ses familles aussi bien sur son blog que dans l’espace de Tunis News. Et pourtant, tout en subissant les intimidations et d’autres formes d’exactions, il n’avait fait aucun jour de prison !

D’où la réaction énergique et ferme venue, sous une forme d’union sacrée, de tous les intervenants dans le secteur avec une série de mesures et décisions concrètes : grève générale d’une journée, boycott des activités des trois présidences.

Le corps de l’information sait et sent qu’il mène une bataille décisive, une bataille de l’issue de laquelle dépendra son sort. Une question de vie ou de mort pout tout le secteur qui fait, selon tous les sondages, la fierté de la majorité des Tunisiens.

Toutes les parties prenantes du secteur des médias, à part celles tournant dans le giron d’Ennahdha, sont conscientes de la gravité de l’heure et se montrent donc à la hauteur de la situation et font preuve de ténacité et de persévérance dans la défense de leurs droits et de leurs acquis.

Noureddine HLAOUI

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