Cinéma français : le coup de gueule de François Dupeyron !

Dans le dossier de presse de son film "Mon âme par toi guérie" en salles le 26 septembre, le réalisateur François Dupeyron signe un texte virulent contre la façon dont sont financés (ou pas...) les films français.
 

La semaine prochaine sortira sur les écrans Mon âme par toi guérie, le nouveau long métrage de François Dupeyron, un cinéaste chevronné qui dirigea Deneuve et Depardieu dans son premier film, eut les honneurs d'une Sélection Officielle à Cannes (La chambre des officiers). Ce nouvel opus dispose d'un casting solide, composé de deux acteurs en vogue (Grégory Gadebois, César du Meilleur espoir masculin en 2012, et Céline Sallette, Prix Romy Schneider 2012) et du populaire Jean-Pierre Darroussin. Pourtant, le film a bien failli ne jamais voir le jour, faute de financements...
Le réalisateur revient sur la délicate genèse de ce film, à travers un long texte en forme de coup de gueule, rageur et desespéré. Dupeyron a choisi de publier ces propos non pas dans un grand quotidien mais dans le dossier de presse du film, autrement dit le matériel promotionnel destiné aux journalistes, dans lequel le réalisateur et les comédiens exposent généralement leurs intentions et reviennent sur le tournage (disponible également sur le site officiel).

Dans la forme, ce texte est essentiellement le compte-rendu d'une conversation datant de novembre 2012, entre Dupeyron et un ami journaliste prénommé José. Le premier explique au second qu'il décide de mettre un terme à son activité de cinéaste, usé par les refus des producteurs et les diktats des chaînes de télévision.

"Ca va faire dix ans qu'on me refuse tout"

"Ca va faire dix ans qu’on me refuse tout !", constate Dupeyron. "Je ne suis pas resté sans rien faire, j’ai écrit huit, dix scénarios, j’ai eu des avances sur recettes, je les ai perdues. J’ai écrit quatre romans (...) En dix ans, j’ai réussi à faire deux films, Inguelezi, et Aide-toi le ciel t'aidera, avec l’Avance sur recettes et Canal. Mais depuis 2007 chez Canal, c’est niet ! Je suis marqué au rouge. « Dupeyron, on aime beaucoup ce qu’il fait, mais pas ça. »

A propos du projet Mon âme par toi guérie, il précise : "J’ai l’avance, j’ai la région, et puis c’est tout. La 2, la 3, Arte, Canal, ont dit non. Je l’ai réécrit, représenté. Deux fois non. Orange me dit que peut-être si j’ai un distributeur… C’est bidon, je n’y crois pas, et de toute façon tous les distributeurs à qui on l’a présenté ont dit non (...) Céline a fait lire le scénario à une jeune productrice – c’est pour te dire qu’elle est motivée – la productrice lui a envoyé le scénario à la gueule, « Qu’est-ce que c’est cette merde ? ».

"On ne fait rien avec la peur, rien que de la merde"

Dupeyron narre ses rendez-vous avec des producteurs qui lui reprochent d'employer trop de "gros mots" : "Et tout ça parce que tu présentes un scénario à la 2 ou la 3 avec un gros mot qui traîne, oh malheur ! Tu dégages… Ils ont un tel pouvoir que règne une petite terreur." Il fustige les "fiches de lecture" faites par "des jeunes gens sans doute, pas très bien payés". Et tire un bilan amer : "je ne suis plus en phase avec ce petit monde, ces gens, les producteurs à genoux, qui ont peur. On ne fait rien avec la peur, rien que de la merde (...) "On est en face de gens qui ne sont pas plus cons que les autres, c’est le système qui les rend idiots, et assassins. Parce qu’au fond, ils ne font que protéger leur petit privilège.…"

Dupeyron s'en prend aux grandes chaînes, France 2 ou France 3, mais aussi à Arte, à qui il envoya une note d'intention pour un film : " J’ai eu le malheur de citer Tarkovski pour faire comprendre je ne sais plus trop quoi. Malheur ! le retour a été cinglant, « Non Tarkovski, c’est pas possible. » Il se moque aussi des producteurs qui se disent "indépendants", mais qui "sont tous dépendants de la télé, et aujourd’hui des distributeurs. Des producteurs, il n’y en a qu’un, la Télé, le Parti. On est dans un système qui porte un nom, un putain de gros mot, « totalitaire », pas creux pas vide, qui fait son sale boulot. On ne serait pas en démocratie, on dirait censure."

"Aidez-nous !"

Dupeyron explique que, suite à cette conversation, son interlocuteur, l'ami José, a exposé sa situation à Paulo Branco, qui a accepté de produire le film (il "m'a sauvé la vie"). Puis il conclut en s'adressant aux journalistes : "Aidez-nous ! Entendez ces mots comme un cri. Faites savoir ce contre quoi on doit se battre (...) Prenez le relais pour que ceux qui sont en charge d’un pouvoir, petit ou grand, pour quelques jours ou quelques années, sachent et cessent de faire n’importe quoi."

 

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